Zenzile - Le cabinet du Docteur Caligari" - (Ciné concert - Telerama Dub Festival - Paris)
Paris début du siècle, quelque part du coté de Bastille. On donne une séance de cinématographe. Au programme un film allemand Le Cabinet du Docteur Caligari, drame romantique sur fond de folie, la foule encore peu habituée a ce genre de spectacle se presse en nombre et, plongée dans une pénombre bleutée ou jaunie, frissonne et se laisse envouter par cette histoire angoissante. Devant l écran, un machiniste s’affaire sans relâche. Est-il là pour changer les bobines au signal donne par une tache blanche en haut dans un coin de l’écran ? Est-il là pour tourner inlassablement la manivelle qui permettra aux dites bobines de défiler et dévoiler ainsi, peu à peu, le dénouement effroyable de l’histoire? Non, plié en 2 sur ses machines il semblerait que, tout machiniste qu’il soit, son rôle sur la projection du film soit des plus limités.
Pourtant il est entouré de 4 autres acolytes, c’est dire si le travail doit être titanesque. Ainsi donc il faudrait 5 hommes pour qu’un spectacle de cinématographe puisse se dérouler correctement ? Tous tournent le dos au public, concentres sur les images qui défilent, semblant entrer en transe aux moments ou la tension dramatique de l histoire va croissante puis se relâchant quelque peu dans les instants d accalmie. Mais que font-ils tous ? Point de chapeaux melons et de moustaches fières et arrogantes pour eux, pas plus qu'il n'y en a dans le public. Les femmes sont venues sans leurs ombrelles, ni leurs gants. Point de voile de mousseline non plus, en cette année 1919, on se rend au cinématographe pour oublier, l espace d'un instant, les douleurs des années sombres de la grande guerre, pourtant pas de gueules cassées dans la foule, pas même un uniforme. Non, décidemment, il y a quelque chose qui ne colle pas. Début du siècle disions nous ? Oui, mais lequel ? Perdu, il semblerait, qu’à notre tour, nous ayons sombré dans une folie dévastatrice qui nous fait perdre toute notion de temps et de lieu.Histoire italienne, racontée en allemand, musique aux racines jamaïcaines abâtardisée à grand renfort de technologies occidentales, images muettes sur fond de sirènes assourdissantes, rythmique organique pour personnages aux teints diaphanes, aux regards vides de toute vie, au prise avec leurs démences. Tout se mélange, nos 5 machinos de Zenzile, puisque c’est d’eux dont il s’agit, nous offrent une expérience artistique totale, se jouant du temps et des classifications hâtives. Zenzile, que l’on se plait souvent à mettre dans la même boite étiquetée Electro Dub français, aux cotés d’High Tone, du Peuple de l’Herbe et de quelques autres, Zenzile donc, en formation rock instrumentale (Basse (bien sûr), Batterie (évidemment), guitare, clavier et ces fameuses machines), donne un nouveau souffle, une nouvelle vie à l’œuvre de Robert Wiene, "Le cabinet du Docteur Caligari", monument de l’expressionnisme allemand.
Le télescopage spatio-temporel fonctionne merveilleusement bien, au-delà de toute attente, tant et si bien qu’on en vient à se demander si c’est la bande son qui l’accompagne qui donne tout son impact aux images, ou la beauté, l’étrangeté, la composition des scènes qui fait que la musique nous pénètre si profondément. Impossible de trancher, car les 2 univers finissent rapidement par ne plus n’en faire qu’un, les décors terriblement actuels (on pense à l’univers de Tim Burton), angoissants, tout en angles et arêtes, trouvant leur écho quelque part entre la basse rampante et les sons parfois presque dissonants du groupe, avant que le chaos ne cède la place à une ambiance floydienne plus apaisée ou un groove irrésistible le temps d’une poursuite démente.
Il aura donc fallu attendre presqu’un siècle pour que cette œuvre puisse voir le jour ; en ces temps où tout doit être rapide, instantané même, on frôle l’hérésie. Mais Zenzile saura brillamment nous prouver que tout vient à point à qui sait attendre que le temps ait (re)fait son œuvre. Chapeau (melon) bas !
Encore abasourdi par le spectacle qui vient de se terminer, cerise sur le gâteau, alors que l’on quitte la salle, le stand merchandising du groupe propose une sérigraphie de l’affiche du spectacle réalisée par CryingPaper. Evidemment, impossible de s’en priver ! ;)
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